Le séminaire Digital Studies a pour objectif d’étudier la façon dont les technologies numériques influencent le savoir au niveau épistémologique et affectent chaque discipline académique (rôle de l’analyse de données, de la visualisation et de la simulation dans les sciences), afin d’ouvrir un débat public et scientifique international sur le statut de la technologie numérique dans les sociétés contemporaines et à venir, et de faire émerger sur la base de ce débat un collectif international d’échanges et de contributions autour des études numériques.
La technologie numérique, comme nouvelle forme de l’écriture et de l’accès à l’écriture (mise en forme, diffusée et lue à l’aide d’automates fonctionnant à la vitesse de la lumière) constitue une « technologie intellectuelle », dont l’industrialisation, l’automatisation et les performances de vitesse transforment radicalement les conditions de la vie de l’esprit sous tous ses aspects : psycho-affectifs, économiques, géopolitiques, sociaux, culturels, artistiques, intellectuels et scientifiques.
Toute société humaine peut être décrite comme un régime de traces. Une écriture, quelle qu’elle soit, est constituée par un ensemble fini de traces et de règles de combinaison de ces traces : l’extériorisation et l’intériorisation de ces traces constituent les cultures matérielles de la vie de l’esprit depuis l’origine même de l’hominisation. La numérisation en cours soulève des questions radicales aussi bien en ce qui concerne le devenir des organisations cérébrales humaines que pour le devenir des sciences, tous deux irréductiblement liés à un devenir tracéologique technique.
Au-delà de ces effets empiriques, ce bouleversement remet donc en jeu les topiques qui auront organisé la question de la connaissance aussi bien dans le passé, à travers la philosophie et l’épistémologie, que dans les périodes plus récentes, et en particulier à travers les divers paradigmes cognitivistes. C’est pourquoi les digital studies ne se limitent pas à l’étude des technologies numériques : leur objet générique doit être l’étude des techniques et technologies intellectuelles en général sous l’angle de leurs effets sur les savoirs en général. De telles digital studies, ou knowledge studies, posent en principe que l’étude de la connaissance n’est pas soluble dans celle de la cognition, tout savoir et toute connaissance supposant une artefactualité technique, à la fois pour pouvoir se transmettre et pour pouvoir se transformer.
Dès lors s’impose à toutes les disciplines et dans toutes leurs dimensions la question du statut qu’il convient d’accorder à la technique dans le devenir humain, et dans le devenir des savoirs par lesquels l’humain sait quelque chose de lui-même, et de ce qui, n’étant pas lui, est sa condition : les questions « imposées » par la numérisation se posent bien avant la numérisation – même si c’est face à l’expérience radicale du bouleversement traçéologique provoqué par la numérisation que ces questions semblent être devenues incontournables.