Dans la suite directe du séminaire qui fut consacré l’an passé à la considération critique de l’anthropologie comme science de l’homme à travers les Métamorphoses de la parenté de Maurice Godelier, nous étudierons cette année (durant le séminaire comme au cours de l’académie d’été) la possibilité d’une néguanthropologie – dont la question sera posée dans le contexte de l’extrême automatisation, dont ce que l’on appelle les « big data » sont l’aboutissement contemporain.
Il est désormais admis que, depuis une époque que l’on fait généralement commencer avec la révolution industrielle, nous sommes entrés dans l’ère de l’Anthropocène – et nous nous référerons sur ce point à L’Evénement Anthropocène de Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz (Seuil). En 1955, c’était déjà l’épreuve que cet âge constitue – théâtre de ce que Nietzsche appellera le nihilisme – qui conduisait Claude Lévi Strauss à affirmer à la fin de Tristes Tropiques que
plutôt qu’anthropologie, il faudrait écrire « entropologie » le nom d’une discipline vouée à étudier dans ses manifestations les plus hautes [du] processus de désintégration
en quoi consisterait l’homme selon les conclusions tirées par l’anthropologue au terme de cet ouvrage.
Il s’agira dans ce séminaire d’étudier ces « manifestions les plus hautes » du point de vue d’une organologie, et comme les occurrences pharmacologiques d’un neguanthropos dont Lévi-Strauss n’aura cessé d’ignorer la question – ignorant ainsi (comme tant d’autres) la singularité des processus entropiques et néguentropiques induits par la forme technique de la vie, telle que nous l’appréhendons depuis le début de ce séminaire avec Georges Canguilhem et André Leroi-Gourhan, et qui constitue déjà en creux l’horizon de L’idéologie allemande de Friedrich Engels et de Karl Marx.
Cette démarche visant la possibilité d’un Néguanthropocène préparera une académie d’été qui sera consacrée aux théories de l’entropie et de la néguentropie dans la perspective d’une organologie générale et d’une économie générale revisitant les Fondements de la critique de l’économie politique de Marx aussi bien que La notion de dépense et La part maudite de Georges Bataille après la bioéconomie de Nicholas Georgescu-Roegen, fondée sur ce qu’il décrit comme une exosomatisation, et dont la position est synthétisée dans « De la science économique à la bioéconomie », article de 1978 epublié par Antoine Missemer dans Nicholas Georgescu-Roegen, pour une révolution bioéconomique (ENS Éditions).
À travers ce parcours, nous tenterons de cerner ce qui pourrait constituer les traits majeurs d’une organologie de la volonté – c’est à dire des protentions – et d’une entropologie de la décision par où se concrétise toute volition.