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ENMI 2025 : Synthèse artificielle et contribution humaine

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Synthèse artificielle et contribution humaine

16 et 17 décembre 2025

Amphithéâtre Abbé Grégoire Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) Paris 292 Rue Saint-Martin, 75003 Paris et en visio-conférence

« Garbage Out ». Dans son numéro du 25 juillet 2024, le journal Nature sonnait l’alerte en dénonçant en couverture le fait qu’une IA nourrie de ses propres données évolue entropiquement vers du « charabia ». L’article des chercheurs d’Oxford et de Cambridge nous semble apporter des arguments solides pour que la contribution humaine soit reconnue comme un facteur déterminant de lutte contre ce que les chercheurs appellent un « effondrement » des modèles dits de « langage » (LLM). De la même manière que nous avons besoin d’analyser un texte pour en faire la synthèse, l’IA a besoin de l’humain pour créer des modèles qui offrent de nouvelles appréhensions synthétiques du réel. Dès lors, comment peut-on penser les nouvelles articulations entre modèles de synthèse artificielle, processus d’analyse humaine et dispositifs de contribution collective ? Ce nouvel agencement nous semble appeler une nécessaire reconnaissance de la valeur du savoir-faire humain dans le cadre d’une économie contributive, fondée localement et qui ne se réduit pas à une exploitation gratuite ou à un « travail du clic » aux conditions économiques, sociales et psychologiques largement dénoncées.

C’est sur la base de ce plaidoyer, que nous proposons de revenir cette année sur ce qui semble pourtant surcharger l’espace médiatique et la production scientifique depuis deux ans. Faut-il pour autant se joindre à ceux qui dénoncent la menace de l’IA générale ? S’agit-il de prolonger le contre-sommet de l’IA proposé en février par le philosophe Eric Sadin ? Y-a-t-il encore un espoir d’articuler des modèles d’analyse symbolique avec la synthèse statistique Aavoirs et de nouveaux réseaux sociaux ? La question de la synthèse sera au centre de notre recherche pour 2025 afin de tenter d’illustrer comment les technologies contributives–telles qu’elles ont pu se développer dans la tradition des sciences des bibliothèques, dans le champ sémantique, et avec le développement majeur de Wikipédia–peuvent s’articuler aujourd’hui à des outils de synthèse « artificielle » pour une nouvelle écologie de l’esprit.

Mais que faut-il entendre par synthèse « artificielle » ? Il faudrait tout d’abord s’intéresser au processus proche de l’intégration en biologie, tel qu’il ne se réduit pas au processus chimique de la photosynthèse. Il s’agit aussi de rappeler les travaux fondateurs en matière d’analyse et de synthèse du son et de l’image qui ont été développés à partir de modèles symboliques ou sémantiques beaucoup plus compréhensibles par l’humain avant de n’être surpassés par des modèles probabilistes fondés sur le traitement de grandes masses de données. Et bien avant cela, on pourra critiquer la question de la synthèse telle qu’elle fut pensée par Kant comme un processus de l’imagination articulant synthèse perceptive ou pré-catégorielle dans la sensibilité, synthèse reproductive grâce à la mémoire, synthèse intellective et catégorielle dans l’entendement. L’écoute de la musique suppose ces trois phases : j’attends, je reconnais, j’associe. La synthèse ne se réduit donc pas à un assemblage: elle annonce l’articulation de diverses opérations psychiques et collectives. Parler de synthèse « artificielle » nous permet de dépasser le clivage naturel-artificiel et d’explorer le riche monde de la synthèse pour le vivant, pour l’imagination, pour la technique. Il s’agit ainsi de distinguer synthèse organique, symbolique, statistique afin de pe(a)nser la synthèse « organologique » à la suite de Bernard Stiegler. Il s’agit aussi, comme l’a souligné Yuk Hui dans sa lecture de Kant, de faire fonctionner à nouveaux frais le conflit des facultés (humaines et algorithmiques) dans le contexte d’une organologie qui nous ouvre à de nouveaux espaces où, comme chez Simondon, l’imagination conduit à l’invention et où l’anticipation permet de renouveler le cycle des images opératives et les diverses facultés qu’elles induisent.

L’imagination serait en fait plutôt à considérer comme un équilibre fragile entre conditionnement et liberté mais où le degré de liberté lié à notre perception est aujourd’hui de plus en plus pris en charge par la masse de données. Adaptation ? hybridation ? délégation à une matière imaginaire qui nous est humainement inaccessible comme le propose Michael Crevoisier ? adoption d’un nouveau régime de sensorialité performatif comme le propose Anaïs Nony ? Dès lors, Comment la menace de cette disruption de l’imaginaire par la masse de donnée des LLMs se joue-t-elle dès l’enfance ? Et comment la pratique artistique peut encore s’y appuyer de la même manière qu’un acteur apprend son texte par cœur, « s’automatise », pour pouvoir le dépasser, improviser, avancer vers une « idée esthétique » encore indéterminée, c’est-à-dire réellement penser l’incalculable à partir du calculable ou « l’infini » à partir du fini ? Ce sont des options esthétiques, épistémologiques, technologiques mais aussi politiques qu’il nous faudra explorer.

Les Entretiens du Nouveau Monde Industriel 2024 nous ont ouvert des pistes de réflexion pour une nouvelle écologie de l’industrie qui prend soin de son milieu numérique. La question de l’IA était déjà en discussion. En 2025, notre objectif est de prolonger cette perspective en examinant et distinguant précisément ce qui relève de l’analyse et ce qui relève de la synthèse dans ces modèles statistiques et comment il est nécessaire de les ré-articuler à des modèles symboliques et à des dynamiques contributives au service d’une hyper-interprétation comme synthèse de plusieurs interprétations pour le développement de nouveaux savoirs. La synthèse coupée de toute compréhension de l’analyse, des sources, des grammaires, des règles, des contextes, entretient l’aspiration à développer une IA générale biaisée, dominante, autonome, déterritorialisée, délocalisée, mais incluant progressivement le contexte dans son calcul. Cette tendance a-signifiante de l’IA est une menace pour la technodiversité et la noodiversité qui renforce les arguments spéculatifs d’un nouveau capitalisme algorithmique hégémonique.

À travers les Entretiens du Nouveau Monde Industriel et la publication l’année suivante d’un ouvrage collectif, nous aimerions croiser ici des regards théoriques, politiques, économiques, artistiques et industriels, pour mieux comprendre comment ré-articuler analyse, synthèse et imagination à l’ère des IA. La menace est immense mais nombreux sont les projets qui visent à des agencements très innovants entre technologies sémantiques, statistiques et contributives (ce dernier point constituant toujours le cœur de nos projets technologiques et d’innovation sociale et territoriale notamment en Seine-Saint-Denis (https://tac93.fr).

Dans le cadre de nos entretiens, pour mieux comprendre les enjeux et les tensions et proposer de nouvelles approches industrielles, nous partons de la richesse et de la diversité des « localités » qui produisent de nouveaux savoirs. Est-ce que les fablabs, les usines distribuées, les circuits courts, l’économie circulaire, les projets low-tech et les coopératives numériques peuvent contribuer à une dynamique d’innovation ascendante qui crée une « nouvelle écologie industrielle » ?

Dans le cadre de nos Entretiens préparatoires, nous proposons d’aborder ce thème selon six perspectives convergentes :

  1. Synthèse artificielle et contribution : critique et prospective techno-politique et industrielle

  2. Analyse, synthèse, imagination : questions épistémologiques

  3. Synthèse artificielle, nouveaux métiers, nouveaux collectifs

  4. De l’image de synthèse à la synthèse d’image : la disruption du sensible

  5. Pour une économie de la contribution : cadre juridique et cadre de confiance

  6. Sémantique, statistique, contribution : le design de nouveaux agencements

Ce thème transversal conçu et préparé avec notre Collège scientifique et industriel converge avec le rapport sur l’IA des Lumières que Cap Digital vient de publier, sous la direction de Francis Jutand qui fut un des fondateurs des ENMI en 2007 ! C’est aussi le prolongement d’un partenariat avec la Fondation Feltrinelli avec qui nous avions déjà collaboré en 2021 (https://fondazionefeltrinelli.it/scopri/report-parigi-okeurope-2021/) sur la question des mutations du travail. Deux événements plus récents ont aussi inspiré cette proposition : le séminaire hyper-interprétation organisé l’année dernière par l’IRI sous la direction de Franck Cormerais et Armen Khatchatourov (https://iri-ressources.org/collections/collection-55.html) et la Journée sur le mouvement Wikimédia organisée le 14 mars par Marta Severo et Antonin Segault au Dicen/Cnam-Un. Paris Nanterre (https://wikimouv2025.sciencesconf.org/).