Organisation : Jérôme Valluy
Cette session, sous forme d’atelier, reprendra les thématiques et les questions traitées lors des huit séances précédentes, pour réinterroger leurs enjeux et tenter de dégager quelques éléments de réponses et axes tendanciels.
L’éditorialisation comme concept éclairant certains aspects de la culture numérique, pourrait souffrir d’une faiblesse liée à son emploi au singulier si celui-ci contraignait à croire à l’homogénéité ou à l’unicité de cette culture. Le passage séculaire des sociétés traditionnelles, territorialisées, au sociétés contemporaines industrialisées s’est accompagné d’un long processus de sectorisation, corollaire d’une déterritorialisation des rapports sociaux observée dans les humanités classiques et les sciences humaines naissances dès la fin du 19ème siècle. Depuis lors ces "secteurs" socio-professionnels mais aussi cognitifs et culturels se sont imposés comme un cadre ordinaire de construction des identités personnelles et collectives, de communication entre les individus et groupes sociaux et d’imputation des temps de vie les plus importants (activités professionnelles, loisirs..).
D’une certaine manière, chacun-e vit davantage dans un secteur que dans un territoire et, corrélativement, chacun-e s’identifie, aujourd’hui davantage qu’aux siècles antérieurs, par son métier ou sa formation (ou ses participations) que par son lieu de naissance. Ces secteurs se sont reflétés dans le champ de la connaissance relative aux humanités et aux "sciences" naissantes dans le cours du 19ème siècle, par la construction de "disciplines" qui à la fin du 20ème structurent fortement l’organisation éditoriale des connaissances, celle des formations initiales et continues, celle des institutions de la culture et du marché. Ce phénomène historique de sectorisation a conduit l’anthropologie à dépasser depuis longtemps, dans l’analyse des faits culturels, l’indexation de la culture au seul territoire, même érigé en nation. Des sous-cultures sont distinguées : culturelles professionnelles, cultures d’organisations, cultures disciplinaires, cultures de classes, cultures générationnelles, cultures diasporiques, etc. Le tournant numérique, par sa fulgurante ampleur, pourrait laisser croire à une soudaine dissolution de cette mosaïque culturelle dans la vaste étendue d’une "culture numérique", homogène, planétaire ou linguistique, passant par l’Internet et le Web. Dans cette perspective, l’éditorialisation numérique sous ses multiples aspects tendanciels - processuelle, performative, ontologique, collective... - serait-elle même homogène au moins en tant que dépendant davantage des cadres cognitifs et expressifs induits par les dispositifs technologiques et par des comportements sociaux induits par ces dispositifs, que par les structures sociétales sédimentées depuis plus de deux siècles. Ce singulier ne serait-il pas une facilité de la pensée inclinant à une simplification du monde pour réduire la charge de travail analytique et interprétatif qu’impose toute prise de conscience de la diversité ? Ou faut-il distinguer des "cultures numériques" et par suite des formes d’éditorialisation numérique qui seraient spécifiques à chacune ? Et dans ce cas, quels segments traversent l’éditorialisation numérique, l’écriture numérique et, partant, la culture numérique ? Les mêmes "secteurs" qu’autrefois ou bien de nouveaux principes de segmentation qui seraient alors l’un des traits spécifiques à cette culture numérique ?