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Journées d'études Hyperinterprétation - jour 2 - matin - 2024-03-19

Créé le 19/03/24

https://www.iri.centrepompidou.fr/hyper-interpretation-et-savoir-a-lepoque-des-data/

Maison Suger – 18 et 19 mars 2024 – 16 rue Suger, 75006 Paris Journées organisées par Franck Cormerais et Armen Khatchatourov

Programme

MARDI MATIN

Noel Fitzpatrick, Université de Dublin, laboratoire GradCom.

Michaël Bourgatte, Université Catholique de Paris.

Victor Chaix, Association Épokhè, Paris

Audrey Gosset, ENS Paris Saclay, Laboratoire MICA

Nicolas Sauret, Université Paris 8, Laboratoire Paragraphe

Sophie Pène, DICEN – IdF

Résumé des interventions

Grammatisation des images et interprétation

Sophie Pène, Laboratoire DICEN-IdF

La génération d’images par des IA en modifie la réception et développe une acribie (attention à la morphologie de l’image, interrogation sur le composite de l’image, reconnaissance des sources). Peut-on parler de grammatisation, au sens où une pratique d’observation granulaire introduirait une meta- sémiotique ? Peut-on parler d’hyper-interprétation au sens où la réception sensible se déploie en une perception de l’infrastructure, d’hypothèses sur la fabrique et, créant des compétences d’interprétation stratifiées, se répercute secondairement sur la réception des images en général ?

L’herméneutique digitale et l’idiomatique

Noel Fitzpatrick, Université de Dublin, laboratoire GradCAM

Le processus d’interprétation ou d’hyper-interprétation (avec l’ingénierie linguistique) peut être toujours ouvert : là où il reste une poétique du possible, cette ouverture du sens se joue à la limite de l’incalculable et calculable. Dans cette intervention je propose de revenir vers « l’idiome » comme exemple de la possibilité d’interprétation qui est toujours ouvert, une ouverture du sens qui échappe au processus computationnel. L’idiome fonctionne comme un exemple de renouvellement du langage qui est en dehors du système computationnel. Pour Bernard Stiegler l’idiome n’est pas retreint au langage mais fait partie de ce qu’il conçoit comme différence idiomatique.

L’annotation numérique comme hyper-interprétation de documents audiovisuels

Michaël Bourgatte, Université Catholique de Paris

Jusqu’à une période récente, l’interprétation scientifique de documents audiovisuels (films, reportages, émissions télévisées, publicités, vidéos, etc.) nécessitait une prise de notes manuelle ou l’utilisation d’un traitement de texte. L’interprétation était ainsi uniforme et linéaire, tandis que le retour au document audiovisuel était souvent complexe, voire impossible, pour le lecteur confronté à cette interprétation textuelle. L’apparition de logiciels ou de plateformes d’annotation audiovisuelle au tournant des années 2010 a fait entrer le travail d’interprétation du texte filmique dans une ère de l’hyper-interprétation. Désormais, le texte d’interprétation prend la forme d’annotations temporelles ou contextuelles qui sont liées au texte filmique dans l’interface. L’hyper-interprétation est donc fragmentée et délinéarisée, tandis que lecteur confronté à cette hyper-interprétation peut désormais consulter le document audiovisuel en même temps.

L’à-venir de l’hypertexte comme différance encyclopédique ?

Victor Chaix, Association Épokhè, Paris

Pour Umberto Eco, « l’Encyclopédie » est avant tout un concept, désignant selon son expression « l’ensemble du déjà-dit » – c’est-à-dire, aussi, une forme de « bibliothèque des bibliothèques ». D’une certaine manière, ce puit virtuel de stéréotypes discursifs et d’explications normatives est pleinement exploité par les modèles computationnels de langage tels Chat-GPT, qui ne font qu’automatiser et reproduire par réagencement probabiliste leur large corpus, soutiré du web. Face à ce modèle relativement fermé du « déjà-dit » sur lui-même, il s’agira de défendre une idée de l’interprétation comme « addition de soustraction » opérés sur les clichés virtuels de l’Encyclopédie, dans le sens de l’expression de Claudio Paolucci reprenant le concept d’Umberto Eco : c’est-à-dire aussi comme processus de différance, d’individuation et de bifurcation de ce qui est probable. Eco et Paolucci rejoignent ici Jacques Derrida et Bernard Stiegler, où l’enjeu de la lecture et de l’écriture est celui d’une co-individuation du texte et de l’interprétant, capables de se réaliser au travers de cette désautomatisation du corpus et de la pensée. Cette conception nous permettra d’envisager un alter-espace en ligne, au bord-même des tendances de plus en plus prolétarisantes du web (par son automatisation et sa fermeture algorithmique), où hypertexte et hyperinterprétation se lieraient dans un même mouvement de réécriture et relecture permanente, démultipliant de manière ouverte les perspectives, et ce par une différenciation improbable du corpus encyclopédique donné. Les encyclopédistes encore à venir du web ne seraient pas de nouveaux Diderot et d’Alembert, mais plutôt des communautés d’amateurs de savoirs, œuvrant à une réappropriation voir un renversement des stéréotypes encyclopédiques, déconstruisant les modèles traditionnels de l’autorité attaché au livre, et sachant naviguer – sans trop dériver – dans la fragmentation hypertextuelle de l’interprétation.

Interprétation et subjectivité : la Scène de la recherche arts/sciences à l’ENS

Audrey Gosset, ENS Paris Saclay et Laboratoire MICA

Nous assistons à une transformation profonde des pratiques scientifiques en contexte numérique, pratiques marquées par une perte grandissante des gestes et des savoir-faire. Or, le constat d’un malaise généralisé dans la pratique scientifique, apparaît comme le premier pas vers une thérapeutique. La mise en place de nouveaux lieux d’expérimentation me semble en être un second. La Scène de Recherche de l’ENS Paris-Saclay, créée à l’origine comme une simple vitrine destinée à mettre en lumière les pratiques dominantes d’innovation produites au sein de l’institution qui l’a créée — selon une vision classique de la relation entre arts et sciences — a rapidement évolué d’un espace théâtral à un lieu permettant de vastes possibilités d’expérimentations. A travers des ateliers participatifs et une année diplômante (ARRC), la Scène de Recherche permet à présent la création d’agencements artistes-chercheurs-scientifiques (avec une dimension inter-science) dans cet espace théâtral. Les pratiques de recherche alternatives permettent à différents régimes de vérité de se confronter.

Heuristique des protocoles d’écriture collective et interprétation

Nicolas Sauret, Université Paris 8, Laboratoire Paragraphe

En tant qu’espace de lecture et d’écriture, le milieu numérique se révèle être intrinsèquement un lieu de savoir, de pensée et d’interprétation dont le régime épistémique suppose une littératie particulière. Cette intervention proposera une conceptualisation de la littératie numérique fondée sur la maîtrise des protocoles à l’œuvre dans les situations d’écriture collective. Nous reviendrons pour cela sur deux expérimentations d’écriture et d’édition dans l’environnement git/Gitlab, dont les modalités et les registres différents viendront chacune éclairer les conditions d’émergence d’une pensée collective. Entre la réécriture collective d’Une saison en enfer d’Arthur Rimbault à l’initiative d’un éditeur numérique (Abrüpt), et l’écriture conversationnelle d’un article scientifique, nous verrons comment la littératie numérique peut être envisagée comme la capacité à co-concevoir les protocoles humains qui organisent le collectif (communication, validation, décision), et à les implémenter dans l’environnement numérique. En considérant que la pensée est indissociable de la matérialité de ses manifestations, notre hypothèse suggère que l’émergence de la pensée critique et sa formalisation se jouent davantage dans la maîtrise des protocoles humains et informatiques qui les sous-tendent que dans les outils de lecture et d’écriture.