Session conçue et modérée par Viviana Lipuma (Université Paris 10 ; automedias.org)
Anais Nony (JIAS, Université de Johannesburg) et Laurence Allard (Université Lille 3).
Les défis sociaux contemporains nous invitent à élaborer un concept plus exigeant de ce qu’on entend par “domaine public”, et donc à aller au-delà de sa définition purement négative d'un domaine qui n'est pas (encore) dans les mains des grands acteurs du capitalisme. L'exigence démocratique de protéger et d’étendre ce qui nous appartient collectivement doit porter sur notre santé, nos manières d'habiter la ville, nos manières de communiquer, mais aussi sur nos imaginaires et nos mises en récit. Or, à l’encontre de l'espoir d'un “espace public parallèle” (Mattelart) en opposition au dispositif télévisuel, à ses clichés et à son fonctionnement vertical aux débuts de l’internet, depuis les années 2000 la tendance est au contraire à l'infotainement, à la consommation passive de signes et à la production par tout un.e chacun.e de contenus convenus en des formats convenus. La page de l’aventure collective du médiactivisme semble définitivement tournée: en même temps qu'une dépossession des moyens de production et une perte de savoirs techniques, on assiste à l'affaiblissement des capacités collectives à façonner des visions du monde. Le concept de “sémiocapitalisme” de Franco Berardi décrit cette main-basse sur les signes de la part des instances techno-économiques du capitalisme numérique qui en contrôlent la diffusion algorithmique, mais aussi la production à travers les icônes du web (youtubeurs et influenceurs) soumis à leurs contraintes de valorisation financière (audience, likes). Dans ce nouveau contexte infrastructurel, comment peut-on activer et cultiver les capacités esthétiques de l'intelligence collective, qui a montré savoir s'autodéterminer politiquement et utiliser tactiquement des outils du web pour mener à bien ses luttes? Cette question nous invite à envisager une fabrique autonome des imaginaires, susceptible de renouer avec les pratiques de subjectivation sémio-technique du médiactivisme, mais sans les figures tutélaires d’un savoir et d’une compétence esthétiques qui les encadraient. Nous estimons que cette fabrique autonome des imaginaires nous permettrait de nous orienter vers des choix d'avenir et de complexifier la compréhension qu'on a du social. L'objectif de cette séance sera de détailler les conditions matérielles et mentales d'une autonomie esthétique des usager.è.s des NTIC, en se montrant attentifs à son impossible assimilation à un “imaginaire révolutionnaire” propre au vidéoactivisme.