L'invisibilisation des minorités politiques est une constante des médias dominants:réduites à des objets dont on parle, à qui on ne donne la parole et l'image que pour confirmer des stéréotypes de genre, de race et de classe qui circulent à leur propos, cette relégation en coulisses coïncide dans les faits avec leur exclusion de l'arène citoyenne. Le féminisme a historiquement essayé d'évincer cet état de fait médiatique en faisant des technologies d'information disponibles les alliés de leurs combats. Après le tract et la presse écrite au tournant du 20ème siècle, le magazine et la vidéo expérimentale dans les années 1970, on assiste depuis les années 1990 à une « troisième vague » qui investit activement les nouveaux médias d'information et de communication. Le cyberféminisme, terme qui désigne un ensemble de pratiques hétérogènes menées par les militantes féministes sur internet, inaugure un nouvel « espace oppositionnel » (Mattelart). Mais la création de cet espace n’a pas seulement servi à rendre audibles les revendications sur la parité de genre, la fin des violences sexistes et sexuelles, la prise en compte du travail domestique gratuit, la remise en question des normes esthétiques et sociales. De nombreux.ses sociologues insistent, en effet, sur ce que l'architecture du web fait au mouvement:les blogs et les vlogs font éclore un expressivisme digital où les agencements textuels, visuels et sonores des profils donnent lieu à « une identité par bricolage » (Allard) ; le web apparaît en outre comme un espace inédit de convergence des luttes - à l’instar du mouvement metoo; enfin, le journalisme citoyen et l'édition participative rendent possible un élargissement sans précédents d'une « base » gagnée à la cause. Mais quel est le prix de cette révolution médiatique? On sait que le fonctionnement de l’espace numérique favorise une prise de parole et une prise individuelle, focalisée sur l’expérience d’oppression vécue en première personne et à une hyper-exposition de la manière dont on la vainc individuellement. Ces opérations sémiotiques se réalisent au détriment d’une saisie structurelle des dominations de genre et de la relation avec d’autres dominations. Il en résulte souvent, bien que non systématiquement, une simplification des débats et des engagements politiques. En interrogeant le devenir historique des pratiques médiatiques des minorités de genre (féministe, transféministe, queer et homosexuelles) à l’âge des plateformes numériques, cette séance a ainsi comme objectif de dresser un diagnostic politique des réussites et des échecs liés à ce changement de paradigme technologique.