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La question de la synthèse sera au centre de notre recherche pour 2025 afin de tenter d’illustrer comment les technologies contributives–telles qu’elles ont pu se développer dans la tradition des sciences des bibliothèques, dans le champ sémantique, et avec le développement majeur de Wikipédia–peuvent s’articuler aujourd’hui à des outils de synthèse « artificielle » pour une nouvelle écologie de l’esprit.
Les Entretiens du Nouveau Monde Industriel 2024 nous ont ouvert des pistes de réflexion pour une nouvelle écologie de l’industrie qui prend soin de son milieu numérique. La question de l’IA était déjà en discussion. En 2025, notre objectif est de prolonger cette perspective en examinant et distinguant précisément ce qui relève de l’analyse et ce qui relève de la synthèse dans ces modèles statistiques et comment il est nécessaire de les ré-articuler à des modèles symboliques et à des dynamiques contributives au service d’une hyper-interprétation comme synthèse de plusieurs interprétations pour le développement de nouveaux savoirs. La synthèse coupée de toute compréhension de l’analyse, des sources, des grammaires, des règles, des contextes, entretient l’aspiration à développer une IA générale biaisée, dominante, autonome, déterritorialisée, délocalisée, mais incluant progressivement le contexte dans son calcul. Cette tendance a-signifiante de l’IA est une menace pour la technodiversité et la noodiversité qui renforce les arguments spéculatifs d’un nouveau capitalisme algorithmique hégémonique.
Comme à notre habitude à travers ce séminaire préparatoire de juin, les Entretiens du Nouveau Monde Industriel en décembre 2025 et la publication l’année suivante d’un ouvrage collectif, nous aimerions croiser ici des regards théoriques, politiques, économiques, artistiques et industriels, pour mieux comprendre comment ré-articuler analyse, synthèse et imagination à l’ère des IA. La menace est immense mais nombreux sont les projets qui visent à des agencements très innovants entre technologies sémantiques, statistiques et contributives (ce dernier point constituant toujours le cœur de nos projets technologiques et d’innovation sociale et territoriale notamment en Seine-Saint-Denis (https://tac93.fr).
Accueil-Introduction
Vincent Puig (IRI) – Symboliser, synthétiser, contribuer
Alexandre Monnin, philosophe – La synthèse artificielle : les IA génératives et le régime de l’ésotérisme mémétique La multiplication des textes et des images, à partir de corpus existants (eux-mêmes progressivement produits par des machines) suscite, à bon droit, de multiples interrogations. On a cependant peu noté que cette nouvelle forme d’automatisation est contemporaine de comportements humains que l’on pourrait qualifier, si ce n’est de génératifs, du moins de « dérivatifs ». On pense en particulier à la mémétique, la production d’images (souvent accompagnées de courts textes), destinés à une large circulation. Au-delà d’une sous-culture du Web, la mémétique a été investie d’une dimension à la fois politique, ésotérique et magique. Tant et si bien que la phrase : “We memed him to the White House”, à propos de Donald Trump, est elle-même devenue un mème chez ses soutiens suite à l’élection présidentielle américaine de 2016. Aussi le développement des IA génératives intervient-il dans un contexte où le régime des images (et de leur propagation) a acquis une dimension nouvelle. La synthèse artificielle des IA doit être analysée en regard de ce phénomène inédit.
Dominique Boullier (Sciences-Po) – IA génératives et LLM probabilistes : contre la tyrannie du retard, pour une sécession sémantique européenne La course à l’augmentation des paramètres, à l’accumulation de GPU et à la prédation massive de données pour entraîner les modèles d’intelligence artificielle (IA) générative n’a rien d’une fatalité. DeepSeek prouve qu’il est possible de faire aussi bien avec moins. Mais surtout, de nombreux modèles plus petits commettent moins d’erreurs en réduisant la part de probabilités au profit d’une approche sémantique, renseignée par des experts d’un domaine professionnel restreint. Un choix civilisationnel est en cours : celui entre des IA probabilistes, opaques, irresponsables et coloniales, et des IA à fortes valeur sémantique ajoutée, explicables, responsables sur les plans légaux et écologiques, et contrôlables par les collectifs locaux concernés. Les solutions existent, qu’elles viennent du monde alternatif ou de solutions déjà commercialisées par des entreprises de toutes tailles.
* Yuk Hui, philosophe (Erasmus Un. Rotterdam) – Fonctionnalité et Créativité
* Maël Montévil (ENS-CNRS) – De la fonction du processus de synthèse
* Marie-Claude Bossière (Pédopsychiatre) – Comodalité sensorielle et synthèse dans le développement de l’enfant
Comment le bébé, à partir d’un état de prématurité totale, acquiert, au travers de ses expériences sensorielles diverses et singulières, la capacité de les synthétiser et de penser le monde ?
* M. Beatrice Fazi, philosophe (Sussex Un.) – La synthèse et la question de l’unité
This talk examines how generative AI systems engage in a “computational search for unity.” Moving beyond viewing “synthetic” as merely “artificial,” it focuses on the unifying dimensions of synthesis in large language models (LLMs). While LLMs cannot reference an external world, they create a structured whole of distributed representations. Drawing on transcendental philosophy, the talk argues that LLMs construct their own “representational world within” rather than referring to “the world.” Unity in computation is that of a structure, not a self, with representation remaining central to synthetic activity. These distinctions preserve aspects of Kantian synthesis without anthropomorphizing AI. The argument presented in this talk considers whether computational structuring produces a form of thought without external referents, exploring the fundamental question of whether synthetic AI outputs should be understood as real in their own right.
* Michael Crevoisier, philosophe (Un. Marie et Louis Pasteur) – L’impureté technique de la synthèse de l’imagination
En quel sens les « IA générative d’images » produisent-elles des images de synthèse ? S’agit-il seulement d’un nouveau type d’images synthétiques ou l’imagination, comme opération de production d’images, est-elle aussi concernée ? Le problème est moins ontologique (qu’est-ce qu’une imagination artificielle ?) que méthodologique : comment analyser la relation entre la faculté d’imaginer et l’évolution technologique ? En focalisant ce problème sur le sens à donner à la synthèse qu’opère l’imagination, nous proposons à partir de la caractérisation kantienne de ce problème, de comprendre comment les méthodes de Simondon (analogie), Derrida (déconstruction) et Stiegler (organologie) ouvrent la voie à une pensée de l’impureté technique de la synthèse de l’imagination, invitant à réfléchir à nouveaux frais l’opposition entre synthèse et analyse.
* Spartaco Puttini (Fondation Feltrinelli) – Les défis de la recherche de nouveaux modèles
Dans l’histoire, les révolutions industrielles ont toujours provoqué des bifurcations. Mais aujourd’hui c’est fort probable que la tache soit bien au delà des limites de nos sociétés. Il y a plusieurs défis auxquels se confronter pour promouvoir un gouvernement de l’innovation technologique qui puisse bénéficier à la société en tant que telle, les couches sociales et les territoires les plus défavorisés surtout. Avant tout il nous manque les concepts pour gouverner les grandes transformations (économiques, sociales, techniques). Car nous nous sommes convaincus qu’il faut laisser faire les forces incontournables et magiques du marché pour obtenir un résultat optimale. Or, rien de cela ne s’est passé. Le deuxième enjeu c’est la question de l’échelle dans un contexte ou la dimension nationale doit fixer ses priorités en lien avec le niveau européenne et le niveau local. Et c’est toujours plus compliqué de comprendre qui doit faire quoi. La troisième questionne qui se pose c’est celle de la direction de la transformation. Pour faire quoi en fait? Au profit de qui surtout? Ces trois questions introduisent un espace de la recherche, de la culture et de la politique, des choix de la collectivité, en question. S’ouvre, pour la première fois, ici, en Europe, l’opportunité de réfléchir à nouveau à des paradigmes de développement. Et cela ne manquera pas de traverser plusieurs contradictions et conflits. Nous sommes à la croisée de chemins: pour ce qui concerne la tension entre force de production et rapport de production ; pour ce qui concerne la nécessité de sauver la planète et la nécessité plus proche d’arriver à la fin du mois ; pour ce qui concerne la promesse de prospérité qui risque de se renverser dans une réalité de la misère. Face à ces défis multiples qu’est-ce que peut faire la recherche? Qu’est-ce que peut faire la culture?
* Amaranta Lopez (EHESS) – Imaginaires domestiques de l’IA et reproduction sociale
Alliant féminisme de la reproduction sociale et féminisme post-humain, cette communication vise à examiner le caractère disruptif de l’IA dans l’espace domestique compris comme un terrain de dispute entre capitalisme et luttes sociales, en particulier féministes. Par la (dés)incarnation de l’archétype domestique de la femme au foyer, les assistantes vocales permettent de prolonger et reconfigurer une subjectivité à la fois consumériste et dominante, tout en invisibilisant le travail humain (genré et racialisé) derrière les chaînes de production et d’approvisionnement, agissant ainsi comme dispositif de micropédagogies du quotidien au service du colonialisme des données/capital algorithmique. Des propositions féministes de déprolétarisation par le design contributif basé sur des perspectives radicalement situées seront par la suite évoquées comme contrepoint.
* Nayla Glaise (Ugict-CGT et Eurocadres) – Le management algorithmique et son impact sur la santé au travail
L’intelligence artificielle (IA) transforme le monde du travail, modifiant profondément les emplois, la reconnaissance des compétences et les conditions de travail. Si l’IA promet des gains de productivité, elle menace également la valeur du travail humain, creuse les inégalités et crée des défis majeurs en matière de salaires, de santé, de sécurité et d’équité au travail. Des travailleurs des plateformes aux annotateurs des données, l’IA crée des conditions précaires avec un fort impact sur la santé. Ces effets sont également graves pour les travailleurs qualifiés, dont les fonctions sont confrontées à l’automatisation et à l’appropriation par l’IA générative, ainsi que pour les travailleurs vulnérables et certains groupes spécifiques comme les femmes, qui sont touchés de manière disproportionnée par les biais et la discrimination, relayés de manière exponentielle par les algorithmes.
* Warren Sack, philosophe (UC Santa Cruz) – L’IA comme rhétorique et « parafiction »
In 1942 Joseph Schumpeter declared that the process of creative destruction is the essential fact about capitalism. The latest iteration of creative destruction in the current flavor of capitalism, surveillance capitalism, is Silicon Valley’s pursuit of disruption aka the destruction of existing institutions and the construction of new institutions with artificial intelligence (AI) systems that are founded on the non-cooperative, data extractions of surveillance capitalism. For example, Amazon began by disrupting not only the business but the institutions of the book-as-commodity. Uber disrupted the taxis, taxi driving, dispatch, the very institution of “catching a cab.” As philosopher Bernard Stiegler observed in his 2016 book Dans la disruption : comment ne pas devenir fou ? the American giants of surveillance capitalism — Amazon, Google, Facebook, Apple, etc. — constitute a new hegemony presiding over a global disintegration of social and cultural norms (p. 22). This essay shortly reviews some of the key texts of design and computation from the last two decades and argues for specific ways in which design needs to be reconceptualized in order to remain vital for the contemporary conditions of surveillance capitalism. Of special concern is the reconceptualization of context of design as it is practiced in contemporary capitalism. We proposed to understand capitalism as a specific group of people with human and non-human means to destroy existing institutions and construct new ones. Design today must therefore consider not just what to make but also how to respond to capitalism’s voracious appetite to destroy everything already made.