L’économie de la contribution ou économie contributive vise à transformer l’interpénétration des économies actuelles (publique, domestique, marchande locale, de marché globalisé, etc.). Il s’agit d’un modèle tourné vers une sortie de l’ère Anthropocène. Cette période est marquée par une activité humaine insoutenable du point de vue de ses effets bioclimatiques mais aussi psychosociaux. Pour Bernard Stiegler, elle est aussi insolvable économiquement : le calcul est devenu un automatisme central de décision à portée universelle ; au lieu de demeurer une pratique parmi d’autres au service d’une réflexion humaine, collective et toujours locale. L’économie de la contribution est alors pour lui destinée à favoriser le développement de savoirs théoriques, savoir-faire et savoir-vivre. Ces savoirs partagés par les habitants, entreprises, collectivités, associations, etc. sont la principale richesse d’un territoire. Ils permettent d’en penser la transformation dans une logique de soin, c’est-à-dire en tenant compte des particularismes de ce territoire pour en résoudre les problèmes. Pas dans un repli sur soi, ni de façon "top down" ou experte, mais en partant de la formalisation de ce que sont les nécessités identifiées par les acteurs locaux. La démarche est non seulement participative (« donner son avis ») mais contributive (« investir son énergie »). C’est dans la pratique collective et ouverte que s’enrichissent les savoirs.
Une recherche contributive peut alors amener ces acteurs à travailler ensemble à une capacitation (inspirée d’Armatya Sen mais aussi tournée vers la construction de communs au sens d’Elinor Ostrom). De tels projets sont menés en Seine-Saint-Denis dans le cadre du programme Territoire apprenant contributif (TAC) – impulsé et animé par l’IRI mais ayant vocation à être piloté par les acteurs du territoire au sein d’une future Institution de gouvernance de l’économie de la contribution (IGEC). Ces projets sont faits d’activités pratiques d’expérimentations fondées sur des agencements originaux entre acteurs locaux (ateliers), ponctuées de moments prospectifs et délibératifs (analyse des implications pour les contributeurs, mais aussi à d’autres niveaux institutionnels, et d’autres échelles d’espace et de temps).
Actuellement, trois ateliers sont en déploiement sur le territoire de Seine-Saint-Denis : La “Clinique Contributive” développe des savoirs pour contrer l’usage non maîtrisé des écrans dont la toxicité est grande pour les nourrissons et les jeunes enfants ; “Urbanités Numériques en Jeux” accompagne des collégiens, lycéens et leurs professeurs pour qu’ils imaginent ensemble, à l’aide du jeu Minetest, l’aménagement de leur territoire et en particulier le quartier d’habitation issu de la reconversion du futur village olympique. Toujours dans la perspective de cette reconversion, un autre atelier de recherche contributive fait émerger autour de la thématique alimentaire des propositions d’activités susceptibles de faire système à partir d’initiatives déjà portées par certains acteurs locaux.
Cette approche systémique est au cœur du programme TAC dont les ateliers de capacitation sont en résonnance les uns avec les autres (écrans/éducation, soin/alimentation, etc.). Elle amène à imaginer un investissement territorial qui dépasserait le cloisonnement des secteurs d’activités, tout en favorisant le travail partout où ce travail est synonyme de développement de savoir – c’est-à-dire d’intelligence collective territoriale.
L’IRI travaille alors des hypothèses qui viendront nourrir l’expérimentation d’un revenu contributif, conçu comme une rémunération collective susceptible de permettre aux habitants de s’investir dans un travail de groupe effectué hors emploi salarié, durant les ateliers de capacitation. Ce revenu serait perçu de façon conditionnelle, il se distingue des formes de rémunérations existantes. C’est la raison pour laquelle nous avons proposé à un certain nombre de chercheurs d’intervenir au cours d’un programme de séminaires théoriques et territoriaux, afin d’approfondir dans ce contexte notre connaissance des monnaies, en particulier locales et complémentaires. Nous pourrions ainsi commencer à imaginer de quelle manière ce revenu contributif pourrait éventuellement s’insérer dans un régime monétaire local caractérisé par la coexistence de plusieurs monnaies.
Dans une économie de la contribution, la complémentarité des monnaies pourrait permettre de représenter les interactions entre deux modes de mise en valeur des savoirs. D’une part, le brassage et l’enrichissement de ces savoirs dans les ateliers de capacitation doit entraîner leur propagation dans les autres activités économiques du territoire, pour en renouveler les pratiques et la gouvernance collective dans une logique de soutenabilité et de solvabilité. D’autre part et en conséquence, le droit au revenu contributif est alors conditionné par une alternance entre des périodes de capacitation, et des périodes d’emploi dans des structures publiques ou privées partenaires des ateliers de capacitation