Les musées ont de tout temps été des lieux privilégiés de relai du savoir (scientifique comme vernaculaire). L’une des transformations les plus profondes du numérique concerne justement la modification des conditions d’exercice de la science et de production des savoirs au pluriel. Alors que les modèles académiques traditionnels, fondés sur la publication et l’édition scientifique, sont en crise, d’autres lieux et d’autres pratiques épistémiques émergent.
Dans ces conditions, la question se pose pour les musées de savoir comment remplir leur missions traditionnelles dans un paysage largement bouleversé par le numérique. Ce séminaire entendra donc cartographier les lieux et les pratiques émergentes autour de la diffusion du savoir dans le champ culturel comme scientifique ainsi que les modalités permettant aux musées de développer de nouvelles missions sociales et éditoriales.
Nous vivons actuellement une rupture anthropologique. A travers les technologies du numérique ce sont les savoirs empiriques sous toutes leurs formes, constituant la trame de toute existence humaine, qui sont altérés. Le but de ce séminaire est d’appréhender la question de la connaissance à partir de l’ancrage des digital studies, conçues comme une rupture épistémologique généralisée affectant toutes les formes de savoirs rationnels.
Les digital studies ne sont ni praticables ni théorisables sans que soit conceptualisée l’organologie numérique qui semble affecter en profondeur toutes les formes de savoirs – savoir-faire, savoir-vivre, savoirs théoriques. Théoriser l’organologie numérique des savoirs contemporains sous toutes leurs formes nécessiterait de prendre en compte et d’étudier les « organologies » qui, se succédant au fil des millénaires depuis les débuts de l’hominisation, auront toujours conditionné toutes les formes de savoirs.
Si l’anthropogenèse est aussi une technogenèse, celle-ci connais avec le numérique un nouveau stade. La dimension techno-logique des savoirs en tant que telle doit donc venir au centre des questions que posent aussi bien l’histoire des savoirs constitués (reconsidérée à la lumière de l’époque contemporaine), que les nouvelles formes de savoir que la numérisation fait émerger.
Mais ce sont aussi la situation et l’extension sociales de la recherche qui sont en jeu. Les technologies numériques permettent de pratiquer de nouvelles formes de recherche – une recherche contributive associant à la recherche académique et scientifique des acteurs qui ne sont pas eux-mêmes officiellement des chercheurs. Ainsi se trouvent relancées non seulement les questions que posait Kurt Lewin au titre de la recherche action mais aussi la question d’un dehors savant de l’université que, dans le contexte de la République des lettres, Kant envisageait déjà dans Le conflit des facultés lorsqu’il soulignait la question spécifique que posaient aux « savants corporatifs » (aux professeurs) les sociétés savantes et les amateurs de son époque.
Une telle ambition pratique impose sans doute de repenser en profondeur les liens entre politique culturelle, politique éducative, politique scientifique, politique industrielle, politique des médias et citoyenneté.