La vive réponse des musées à la consultation menée dans le cadre de la préparation du colloque Vie des Musées, Temps des Publics, montre une forte appétence de certaines institutions muséales au changement, particulièrement dans le sens des axes avancés par la mission Musées du XXIème siècle. Cette consultation révèle le panel de problématiques et de défis auxquels se confrontent concrètement les institutions muséales qui aspirent à déborder le cadre institutionnel habituel. Par delà leurs riches divergences, l’enjeu commun aux acteurs qui désirent renouveler leurs pratiques au travers de nouveaux cadres opérationnels est celui de la création d’une communauté fondée sur la contribution.
Au delà d’une relation de consultation ou de communication, le réseau d’acteurs et de partenaires à engager sur la voie d’un renouveau muséal aura à être fondé sur une économie sociale à base territoriale. Le réseau à construire est donc d’abord une communauté de projets implantée localement, constituée autour de chantiers co-construis dans lesquels démarches de recherche pratique et théorique se rétro-alimentent conjointement et sur la temporalité commune de l’expérimentation.
La volonté de fonder l’action muséale sur la contribution citoyenne demande d’agir à partir des besoins réels des populations. Car, on ne s’investit qu’à partir du moment où l’on se sent concerné comme le révèle très justement l’expérience du community organizing développée par Saul Alinsky, qui consiste à actionner l’implication citoyenne en politisant les colères du quotidien. Dans ce cadre, si la notion de public tient encore, elle se rapproche de la conception qu’en a John Dewey, pour qui un public au sens fort est d’abord un ensemble de personnes affecté par un problème commun, qui tente de résoudre activement ce problème par une double démarche d’enquête et d’expérimentation.
Cet horizon ne concerne pas tous les musées et il implique une forte dimension politique qu’il faut avoir le courage d’assumer et de mettre explicitement sur la table. La nouvelle muséologie, en son temps, proposait précisément de mettre le musée au service de la société et de son développement par l’émancipation citoyenne. Dans les grandes lignes, il nous est resté de cette histoire les principes de l’écomusée établis par George-Henri Rivière et sa proposition de Musée-Laboratoire, mais également une littérature un point amère, critique, souvent à l’excès, à propos de l’expérience écomuséale. Pourtant, l’approche évolutive développée sur le terrain par les écomusées, pourvu qu’on en fasse l’examen depuis l’intérieur, est encore résolument de notre temps.
Plus encore, elle éclaire de façon très nette les enjeux politiques et territoriaux qui sous-tendent l’engouement actuel pour un débordement institutionnel. Pour cela, il faut réinscrire la nouvelle muséologie dans le travail mené en la matière par une autre de ces figures pionnières, Hugues de Varine. En contre-point de l’accent scientifique du musée-laboratoire de Rivière, Hugues de Varine a défendu, sur le terrain, une vision de l’écomusée qui était alors également portée par une multitude d’acteurs, à savoir, une vision de l’écomusée fondée sur une dynamique plus profondément communautaire. En partant de la population et des enjeux endogènes à un territoire, il s’agissait de faire germer une dynamique de réhabilitation citoyenne qui passe par une véritable co-construction du patrimoine entre habitants, collectivités territoriales et professionnels académiques.
Par cette Nouvelle muséologie des territoires, les actions culturelles et patrimoniales portées par les musées sont questionnées avec une grande acuité : dans leur forme et dans leur rôle, à l’aune d’un objectif fort de développement social et d’implantation territoriale. Or, loin d’être isolée, cette proposition rejoint intimement les approches défendues et mises en œuvre par une grande diversité de mouvements et d’acteurs, institutionnels ou non, qui dépassent amplement le cadre traditionnel des musées.
Sortir du cadre entendu, faire un pas de côté et explorer les marges des institutions traditionnelles, cela est aujourd’hui une nécessité. La spécialisation des disciplines et la segmentation fonctionnelle des institutions, qui permirent probablement un temps d’intensifier l’analyse et l’efficacité opérationnelle, sont devenues un frein à la pensée comme à l’action. Décloisonner les barrières disciplinaires et sortir des dynamiques de silo sont désormais les conditions pour penser et agir efficacement dans l’hybridité.
Comme le propose Jean-Louis Tornatore, « devant » l’Anthropocène, l’âge du patrimoine a à s’ouvrir sur un âge de l’héritage, et notre regard à se tourner vers le futur à l’heure où l’inquiétude de la perte concerne moins le passé que l’à-venir. C’est dans ce contexte que les actions de la Mission du Patrimoine Ethnologique peuvent rejoindre celle de ARTfactories / Autre(s)pARTs, que les enjeux du patrimoine peuvent converger avec ceux de la démocratie et embrasser les défis écologiques, que les musées des milieux urbains qui osent s’aventurer dans l’expérimentation sociale peuvent rejoindre les lieux intermédiaires et indépendants, enfin, que les écomusées et les ethnopôles auraient beaucoup à partager avec les mouvements de repaysannisation et les «milieux paysans libres».
Ainsi, ces Ateliers de muséologie auront pour but de prolonger la Mission musée du 21e et le colloque VM/TP en donnant la voix à ces défricheurs d’une conception renouvelée de la culture et du patrimoine, afin de penser, sans timidité, un cadre d’action pour le musée qui soit à la hauteur des enjeux du 21ème siècle. En réunissant ces différents acteurs, il s’agira de croiser leurs expériences et expertises pour questionner les conditions propices, dans le contexte juridique, économique et social actuel, à ce que le musée puisse constituer une communauté autour d’une véritable expérimentation citoyenne sur les territoires, en milieu urbain comme en milieu rural.