Intervenants : Franco Berardi et Daniel Jacobi
Les institutions culturelles sont aujourd’hui devenues les vecteurs d’un marketing féroce par lequel le consumérisme s’impose partout. Or, il a résulté de cet état de fait, qui n’a cessé de s’intensifier au cours de ces trente années, que les publics se sont trouvés engloutis dans la catégorie des audiences. C’est ce qui se traduit par une fréquentation croissante qui caractérise aujourd’hui la plupart des grands musées, mais tel que le rapport aux objets d’art par l’expérience esthétique, se trouve de plus en plus compromis. A cet égard, nous pouvons nous demander si le capitalisme culturel[27] n’a pas absorbé l’enjeu originel de la démocratisation culturelle ? Et ce, non parce que les grands musées se seraient soumis au style des industries culturelles, mais parce que ses publics se trouveraient de plus en plus soumis à des dispositifs muséaux qui génèrent des comportements consuméristes – comme pouvoir de standardiser et d’effacer le monde lui-même, ce contre quoi, précisément, luttent les objets d’arts, en tant qu’objets de singularité. L’activité essentielle du capitalisme serait-elle ainsi devenue de produire des concepts esthétiques et cognitifs en vue de façonner des modes de vie selon des critères d’une organisation consumériste de l’existence ? Le musée serait-il ainsi devenu un lieu de distraction, à l’image du diagnostic autrefois porté par Walter Benjamin : il tente de préserver la valeur cultuelle en la soumettant aux valeurs de l’exposition, de la publicité et de la rentabilité. La conséquence visuelle est le développement d’un mode de perception flottant, instantané, « sans mémoire », voué à opérer dans un perpétuel et foisonnant présent. Pourquoi parler alors de Tourisme ? Car l’expérience touristique dans sa nature même est « esthétique », qu’on entende le terme au sens étymologique de sensibilité et de réceptivité (l’aisthesis grecque), ou au sens courant pour se référer à tout ce qui touche à l’art en général, et même au sens hautement et proprement esthétique (l’expérience de l’art). Le touriste est à la recherche de sensations hors de tout intérêt utilitaire et il agit pour le plaisir. Ce régime de vie est tout entier sous le signe d’une attitude esthétique, avec la prise de distance qui la caractérise, y compris sous la forme d’une production effective d’une distance kilométrique entre la vie affairée et les lieux de « vacance ». Le touriste veut se changer les idées, se relaxer, se détendre, toute expression qui disent le changement d’attitude attentionnelle et la suspension des intérêts pratiques quotidiens. C’est en ce sens que le tourisme est esthétique : c’est un régime de la sensation et de la « vacance ». Le tourisme satisfait l’hédonisme. Mais alors, n’y a-t-il pas contradiction entre les exigences de l’expérience (esthétique) et le désir touristique du visiteur muséal ?